En 1974, j’enseignais les Sciences Naturelles depuis plus de dix ans quand je me mis à écrire des chansons. Je vivais à l’époque une vie de patachon à Tanger, où je conjuguais tous les plaisirs avec application et assiduité.
         Je n’allais même plus à la pêche, et mon arbalète avait été remplacée dans mon coeur par une guitare : au mois de mars, j’avais enregistré  une petite maquette extrêmement sommaire d’une douzaine de chansons. Je partis à Paris pendant les vacances de Pâques et passai cette quinzaine à faire le tour des maisons de disques , ma sœur sous le bras qui jouait le rôle de la très belle attachée de presse de la future vedette… Pendant cette semaine passionnante où aucune porte ne se ferma, j’eus la divine surprise d’obtenir des propositions de contrat chez Azed (Jacques Bedos, l’oncle de Guy, qui était à ce moment-là le directeur artistique de Moustaki, Reggiani et Maxime le Forestier), chez Barclay avec Léo Missir, et chez Decca avec Jo Milgram.  Ainsi que de quelques autres seigneurs de moindre importance…
         Fort de cet avenir prometteur, je résiliai mon contrat de coopération avec le Maroc et rentrai en Métropole pour attendre paisiblement la suite, sans signer pour telle ou telle boîte.
  
         Or j’avais déposé chez une ancienne élève qui tenait les vestiaires d’un restaurant chinois branché une copie de ma maquette : elle en fit bon usage puisque je reçus  quelques temps après un coup de téléphone de Pierre Perret qui lui aussi aimait mes chansons. Il était l’irrésistible auteur du Zizi à l’époque et tout lui souriait : il me reçut un peu plus tard dans sa cuisine où, je me souviens, il cuisinait en short un quasi de veau aux girolles. Il me prouva aisément, entre la salade et le fromage,  qu’il croyait en mon avenir…
L’affaire fut signée immédiatement, au pousse-café : j’étais devenu son poulain chez Adèle, sa maison d’édition où régnait Simone Rébecca sa femme…
         L’année suivante je gravais mon premier album vinyle (A la pariade) qui fut bien accueilli.   Je pris donc quatre  années sabbatiques où je me proposais de faire carrière.
         Un an plus tard, mon second disque fut édité, les Corniauds qui reçut un accueil meilleur encore. Mais ce métier est difficile et il faut des années de persévérance pour percer : je n’avais toutefois pas trop de mal à en vivre entre cabarets et petits galas, malgré mon impatience.
  
         J’aurais pu attendre encore le succès pendant de longues années ; pourtant trois motifs me firent tout abandonner :
         Tout d’abord je reçus une lettre élogieuse de Georges Brassens, ce qui fut pour moi la reconnaissance que j’attendais, plus que toute autre.
Je pouvais partir la conscience tranquille : mon maître m’en donnait la permission.
Ensuite je tombai  amoureux de la femme de ma vie, qui sortait tout juste du lycée par la petite porte.
Et enfin, j’acceptai une proposition de coopération au Comores pour retrouver mon autre Grand Amour, je veux dire mon arbalète et mes palmes.
 
         Pierre Perret n’était pas content de ce lâchage et je le comprends : mais le pêcheur passionné qu’il est m’a depuis déjà pardonné, je pense. Aujourd’hui, à l’heure même où j’écris ces lignes, il pêche le saumon loin de tout dans sa maison d’Irlande.
Finalement, je ne faisais que prendre des longueurs d’avance sur lui.
 
         Et en 1980, c'est-à-dire une bonne année après avoir laissé tomber la chanson, j’eus la surprise de recevoir, sous mes chers cocotiers, la preuve que j’avais eu tort d’abandonner prématurément la scène : un Prix de la Sacem… qui est la reconnaissance des gens du métier !…
 
         Voici donc quelques-unes de ces chansons, anciennes déjà, mais toujours bien vivantes.
Mailez aux Editions Adèle, à Nangis en Seine-et-Marne. Je sais que les Perret ont remastérisé mes anciens albums, ce qui démontre clairement qu’ils espèrent que leur poulain de jadis n’est pas devenu une vieille carne.